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La pénurie du personnel enseignant de langue française : une situation de crise qui perdure et s’aggrave

15 décembre 2022
Éducation et jeunesse

Ginette Plourde
Publié le 11 décembre 2022

Après un rapport, une stratégie et un sondage, le constat reste le même : les solutions mises de l’avant pour combler la pénurie d’enseignants francophones sont insuffisantes et la pénurie est loin de s’estomper. Même si l’on peut rétorquer que c’est l’ensemble des secteurs d’activités qui subissent une pénurie de main-d'œuvre, pour l'enseignement en langue française, il en va de sa pérennité. Pourtant, nous connaissons les solutions, mais sans une volonté politique authentique et durable, leur mise en œuvre ne sera pas suffisante pour éviter le pire.

Chronologie des études 

En janvier 2021, un groupe de travail composé de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO), de l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario (ACÉPO), de l’Association des conseils scolaires catholiques (AFOSC) et du ministère de l’Éducation, ont soumis au ministre de l’Éducation, Stephen Lecce, un Rapport sur la pénurie des enseignantes et enseignants dans le système d’éducation de langue française, avec 37 recommandations.

En juin 2021, en réponse à ce rapport, le ministère de l’Éducation de l’Ontario a adopté la stratégie ontarienne de recrutement et de rétention du personnel enseignant de langue française (2021-2025), une stratégie de quatre ans qui reprend 32 des 37 recommandations du rapport. Elle prévoit entre autres : la promotion des parcours d’enseignement et un recrutement dans les pays francophones, une élimination des obstacles aux programmes de formation à l’enseignement, un assouplissement des programmes d’enseignement et la création des environnements qui soutiennent le personnel enseignant. Un comité a été mis sur pied pour veiller à la mise en œuvre de la stratégie.

Le ministre Lecce a annoncé une somme de 12,5 millions de dollars sur quatre ans pour appuyer la mise en œuvre. Cette somme est loin des 91 millions de dollars sur cinq ans recommandés dans le rapport du Groupe de travail. C’est un début, mais encore faudrait-il dépenser cet argent sur les recommandations identifiées comme prioritaires et leur mise en œuvre doit commencer immédiatement. Au dire d'Yves Lévesque, directeur général de l’AFOCSC, « toutes les solutions mises de l’avant vont nécessiter des investissements importants de la part du gouvernement de l’Ontario. » 

La communauté de langue française de l’Ontario n’a pas le luxe d’attendre. Selon le dernier recensement de Statistique Canada en 2021, l’assimilation est un phénomène rampant dans toutes les régions de la province. En cinq ans, le français comme première langue parlée a diminué en Ontario, passant de 4,1 % en 2016 à 3,8 % en 2021. Il y a urgence d’agir, car la qualité de l’éducation en langue française sera grandement diminuée si l’on n’agit pas maintenant.

Selon Isabelle Girard, directrice générale de l'ACÉPO, « la pérennité de la communauté francophone est en jeu. Cette pénurie d'enseignants qualifiés pourrait mettre à risque la qualité de l’enseignement offert dans les écoles de langue française, ce que l’on veut éviter à tout prix. »

Transition à l’enseignement 2021  

En juin 2022, l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (OEEO) a publié les résultats d’un sondage, « Transition à l’enseignement 2021 ». Ce rapport indique que la pénurie de pédagogues augmentera dans les conseils de langue française. Le taux de chômage atteint un creux, le plus bas en 15 ans, alors que la pénurie d’enseignants en Ontario s’aggrave. Il faut produire davantage de diplômés en éducation pour augmenter l’offre annuelle de nouveaux enseignants qualifiés pour enseigner en français. C’est-à-dire financer plus de places pour les étudiants dans les facultés d’éducation offrant un programme de formation en français et recruter des enseignants de langue française formés à l’extérieur de la province.

La moyenne annuelle de diplômés de l’ensemble des nouveaux enseignants francophones et anglophones est de 5 795 pour la province en 2019-2022, une baisse de 6 343 enseignants diplômés comparé à 2008-2011 qui alors était de 12 138. Le nombre moyen de nouveaux enseignants formés à l’extérieur de la province a chuté à près d’un tiers au cours de la dernière décennie. Le problème que crée cette baisse dramatique est grandement exacerbé par le fait que près de 30 % des nouveaux enseignants francophones, soit près d’un sur trois, choisissent de ne pas renouveler leur inscription à l’OEEO dans les cinq ans suivant leur certification et quittent la profession. Cette proportion n’est que de 17 % chez leurs homologues anglophones. L’enjeu de la rétention du nouveau personnel enseignant de langue française aggrave considérablement la pénurie dans les écoles de langue française.

Les conseils scolaires de langue française n’ont pas d’autres choix que de se retourner vers des solutions ponctuelles comme les lettres de permission pour répondre aux besoins immédiats de personnel qualifié. En 2021-2022, 662 enseignants francophones non qualifiés ont reçu au moins une lettre de permission temporaire, qui leur permet d’enseigner, ceci représente une augmentation de plus de 160 lettres de permission par rapport à l’année précédente. Si aucune mesure n’est mise en place pour enrayer la pénurie, on prévoit une augmentation exponentielle jusqu’à 3 000 lettres de permission en 2026.

Une pluie de mesures temporaires toujours insuffisantes 

Toutes les associations franco-ontariennes tant celles des conseils scolaires catholiques et publics que celles des directions et directions-adjointes des écoles et des enseignantes et des enseignants font état de ce dossier prioritaire dans leur site web respectif.

L’AEFO vient de lancer le 5 octobre 2022 une campagne pour promouvoir les carrières en éducation. L’AEFO en collaboration avec l’Association des directions et directions-adjointes franco-ontariennes (ADFO) offrira en novembre 2022 quinze heures de formation visant l’accueil pour favoriser la rétention du nouveau personnel enseignant issu de l’immigration récente.

Les conseils scolaires font appel aux enseignants à la retraite pour la suppléance. Toutefois, cette solution ne s’avère guère adéquate. Même si le nombre de jours où les personnes à la retraite sont autorisées à enseigner est passé de 50 à 90, les directions d’école peinent à trouver des suppléants, car le nombre de 90 jours est rapidement atteint.

Depuis juin 2021, seulement 10 enseignants formés à l’étranger ont été recrutés par le biais d’un projet pilote mis en place avec l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (INSPE) à Aix-Marseille. Le projet pilote est actuellement limité à cette seule faculté en France.

Des ententes avec les universités de langue française de la province et le ministère ont aussi été mises en place pour faciliter et accélérer la formation d’un plus grand nombre d’enseignants dans certains programmes : un programme de formation en éducation technologique, des programmes de formation en plusieurs parties pour les cycles primaire-moyen et moyen-intermédiaire. Toutefois, on néglige le cycle intermédiaire-supérieur. L’Université Laurentienne a annulé son programme au cycle intermédiaire-supérieur et seulement l’Université d’Ottawa offre un programme à temps plein sur son campus d’Ottawa.

La certification de qualification et d’inscription temporaire a appuyé la dotation des listes de suppléance des conseils scolaires en ajoutant au niveau de la province plus de 1 000 étudiants à l’effectif enseignant dans les soixante-douze conseils scolaires. Cette approche s’est avérée nettement insuffisante.

L’Université de l’Ontario français a reçu en juillet 2022, l’approbation gouvernementale pour le financement de 40 étudiants dans un programme de formation à l’enseignement. Il est surprenant que le gouvernement limite le nombre d’admissions en éducation considérant la pénurie du personnel enseignant dans les écoles de langue française.

Des pistes de solutions 

Le rapport du Groupe de travail sur la pénurie recommande de financer les mesures nécessaires pour assurer la disponibilité de 520 enseignants et enseignantes certifiés additionnels, en partie par l’ajout graduellement croissant du nombre de sièges étudiants dans les facultés d’éducation offrant des programmes en français pour une période de cinq ans, de 2021-2022 à 2025-2026.

Ce rapport recommande à l’OEEO de reconnaître l’expérience d’enseignement acquise sous lettre de permission et d’allouer des crédits afin que ces personnes déjà embauchées dans le réseau obtiennent une certification immédiate. Une telle mesure est prioritaire.

La députée libérale Lucille Collard a affirmé en juin 2022 dans une entrevue à Radio-Canada que le gouvernement faisait fausse route en adoptant un plan d’action pour l’ensemble de la province sans tenir compte des besoins spécifiques des écoles de langue française. Selon elle, il faut avoir une lentille différente pour les francophones parce que l’impact est différent. La députée néo-démocrate France Gélinas affirme pour sa part que le gouvernement Ford n’en fait pas assez pour assurer la formation de nouveaux enseignants francophones, faisant référence à la coupure du programme de formation à l’enseignement de l’Université Laurentienne.

Les associations franco-ontariennes ont à maintes reprises offert de travailler en collaboration avec le gouvernement. La province se doit de démontrer une volonté politique authentique et durable pour faire avancer la mise en œuvre des recommandations incluent dans la stratégie ontarienne de recrutement et de rétention du personnel. Elle doit trouver des solutions qui répondent réellement aux besoins de la communauté francophone, tout en évitant de traiter la communauté francophone de l’Ontario et son réseau d’écoles de langue française au même titre que le réseau des écoles de langue anglaise et leurs programmes de français langue seconde ou d’immersion. Engageons-nous dans un dialogue constructif, voilà ce que la communauté désire!

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